Partie 1/3
Étude en trois parties
Première partie : Béta-caryophyllène et cicatrisation, prolifération et migration cellulaire
Deuxième partie : Expression génétique et rôle du sexe
Troisième partie : Récepteurs olfactifs et impacts synergétiques.
Les odeurs provenant des individus d’une même espèce et de l’environnement influencent le comportement et le statut physiologique de nombreux animaux. L’importance des stimuli olfactifs chez l’espèce humaine a tendance à être sous-estimée. Cependant, depuis bien longtemps l’homme a utilisé des substances odorantes pour soigner ou altérer certaines conditions physiologiques. Divers extraits de plantes et d’épices ont été utilisés pour réduire le stress et la douleur et favoriser la guérison de blessures ou de maladies. Malgré cela, et bien que de plus en plus de scientifiques testent les diverses structures et substructures moléculaires biologiquement actives des produits naturels, il y a encore beaucoup à faire pour examiner les influences de ces extraits et mieux comprendre leurs mécanismes.
Lorsqu’on utilise des huiles essentielles à la place d’un composant chimique seul, il est ardu d’en examiner les mécanismes d’action à cause des grandes variations de pourcentage de chaque composant qui dépendent des méthodes d’extraction, des zones de prélèvement, des différences d’altitude, des saisons de récolte et de la partie de la plante qui a été prélevée. Il est par conséquent important d’utiliser des composants chimiquement purs ou des extraits chimiquement définis, tel qu’il a été décrit dans de récentes études. Ceci permet de tester les rôles des substances individuelles et d’en obtenir des aspects mécanistiques clairs.
e plus, la voie d’administration peut altérer l’efficacité des odorants. Les odorants des plantes sont souvent appelés arômes, ce qui suggère que la voie empruntée est celle du système olfactif. Cependant, les routes à travers lesquelles les substances chimiques odorantes peuvent créer un effet sont nombreuses. Tout d’abord, les récepteurs olfactifs sont exprimés aussi bien dans les neurones olfactifs que dans les tissus non-olfactifs tels que la peau et les organes circulatoires. De plus, certains odorants activent aussi bien les récepteurs olfactifs que non-olfactifs. Le béta-caryophyllène (BCP) est l’un d’entre eux. La façon dont les odorants tels que le BCP agissent sur les différentes classes de récepteurs est importante pour un usage efficace.
Le récepteur de CB2 est exprimé dans les cellules neuronales, les tissus du système immunitaire, les follicules pileux, les glandes sébacées, les couches dermo-musculaires et les cellules musculaires lisses vasculaires de la peau intacte. L’activation de CB2 par le GP1a, agoniste sélectif de CB2, favorise la ré-épithélialisation pendant la cicatrisation. L’huile essentielle de Copaifera paupera, qui contient le BCP, favorise, elle aussi, la cicatrisation, bien qu’il ne soit pas clair si le BCP a un rôle direct ou indirect ni si la cicatrisation est favorisée par le récepteur de CB2. Au cours de ce projet, on a examiné si le BCP était à même de favoriser la ré-épithélialisation et, si c’est le cas, si le système olfactif était impliqué dans ce processus.
Meilleure cicatrisation
La cicatrisation implique une série de processus cellulaires et biochimiques concomitants qui restaurent l’intégrité des tissus lésés. En règle générale, la cicatrisation comporte quatre phases qui durent de quelques minutes à quelques semaines : l’hémostase, l’inflammation, la prolifération et migration cellulaires et la maturation cicatricielle. Après des tests sur des souris, il a été constaté que l’exposition au BCP (50 mg/kgbw dilué dans de l’huile d’olive) sur une plaie profonde influençait la prolifération cellulaire et la ré-épithélialisation. Le marquage par immunofluorescence de la kératine 14 (K14) a révélé que la plaie traitée au BCP présentait une distance de migration supérieure des kératinocytes de la peau intacte proche de la plaie vers le centre de la plaie, par rapport aux plaies de contrôle non traitées au BCP (application d’huile d’olive seule), ce qui indique une meilleure ré-épithélialisation. Le marquage du PCNA (proliferating cell nuclear antigen) indique que de nombreuses cellules proliféraient sur les bords des plaies traitées au BCP et non traitées. Dans les plaies traitées au BCP, le PCNA et les fibroblastes sont concentrés dans le derme réticulaire (partie inférieure du derme). Les fibroblastes du derme réticulaire migrent dans le lit de la plaie et forment une matrice extracellulaire de tissu de granulation. Les résultats sur la K14 et le PCNA montrent que les plaies traitées au BCP présentent une meilleure ré-épithélialisation et prolifération cellulaire.
Il existe un autre marqueur de la ré-épithélialisation : l’expression de la profilaggrine, un marqueur de différentiation de la peau. La profilaggrine est exprimée dans la couche supérieur de l’épiderme (stratum corneum) et agit comme barrière cutanée, protégeant le corps des pertes d’eau et des agents pathogènes exogènes. Dans les plaies traitées au BCP, le taux de stratum corneum différencié dans l’épiderme envahissant était plus ample et l’expansion à partir des bords de la plaie était plus longue par rapport aux plaies non traitées.
Les œstrogènes sont réputés pour accélérer le processus de cicatrisation. Ici les récepteurs alpha des œstrogènes alpha après exposition au BCP étaient fortement présents dans les fibroblastes dermiques des plaies traitées au BCP et des plaies non traitées.
Les facteurs de croissance A et B dérivés des plaquettes (PDGF) sont exprimés dans les fibroblastes et les kératinocytes. Les récepteurs des PDGF sont exprimés dans les fibroblastes, dans les cellules musculaires lisses, dans les cellules épithéliales et les macrophages, et leur expression augmente en présence d’inflammation. Dans le processus de cicatrisation, les PDGF stimulent la mitogénèse et la chimiotaxie des fibroblastes, des cellules musculaires lisses, des neutrophiles et des macrophages ainsi que la production de fibronectine, de collagène, de protéoglycanes et d’acide hyaluronique. Le récepteur α des PDGF a également un rôle dans la matrice extracellulaire ainsi que dans la production du facteur de croissance des hépatocytes dans les fibroblastes pour le remodelage du tissu connectif. Le marquage par immunofluorescence du récepteur α des PDGF montre qu’il est fortement exprimé dans l’épiderme et dans les bords de la plaie traitée au BCP. Dans les tissus non traités, le récepteur α des PDGF est fortement exprimé uniquement sur les bords de la plaie. La vimentine, qui joue un rôle dans la prolifération des fibroblastes et dans la différenciation des kératinocytes, est fortement exprimée sur le bord des plaies traitées et non traitées au BCP. Ces résultats suggèrent que le BCP a un impact principalement sur l’invasion de l’épiderme et la différenciation des kératinocytes, résultant en une meilleure ré-épithélialisation de la région lésée.
Meilleure prolifération cellulaire
Afin de déterminer la localisation et le taux de prolifération cellulaire dans les tissus lésés, du BrdU (5-bromo-2’-deoxyuridine) a été injecté deux fois toutes les deux heures et des prélèvements ont été effectués sur les tissus deux heures après la seconde injection. Dans les plaies traitées au BCP, un nombre significativement supérieur de cellules BrdU+ a été trouvé sur le stratum basale de l’épiderme interfolliculaire et des follicules pileux, ainsi que dans le derme papillaire. Dans les deux types de plaies, celles traitées au BCP et celles de contrôle, les cellules BrdU+ étaient nombreuses sur les bords et dans le lit de la plaie. Des études précédentes ont montré que la prolifération a lieu dans un pôle prolifératif qui s’étend de 2 mm à l’extérieur du bord de la plaie jusqu’à 3 mm du bord. Il a ici été observé que la prolifération cellulaire chez les souris de contrôle a eu lieu principalement sur le bord de la plaie et dans le stratum basale de l’épiderme interfolliculaire. Au contraire, les plaies traitées au BCP présentaient une plus haute prolifération cellulaire dans l’épiderme interfolliculaire, dans le derme, dans les follicules pileux et dans le lit de la plaie.
Les cellules souches des follicules pileux contribuent à la ré-épithélialisation en migrant du bulbe pileux vers l’épiderme puis vers le centre de la plaie. Un marquage plus intense des BrdU des follicules pileux dans les plaies traitées au BCP suggère qu’un plus grand nombre de cellules souches des follicules pileux pourrait avoir contribué à en améliorer la ré-épithélialisation.
Si cette meilleure ré-épithélialisation était due à la réduction de l’inflammation et à une transition précoce à la phase de prolifération/migration cellulaires, alors le BCP ne devrait pas influencer des cellules de culture. Afin de tester cette hypothèse, des clichés ont été pris à intervalles réguliers pendant 7 heures pour énumérer la division cellulaire, et ce, à différentes concentrations de BCP. Un pic de prolifération cellulaire est visible à 26 μM de BCP et diminue à mesure que la concentration augmente, ce qui suggère que le traitement au BCP agit sur la prolifération cellulaire et la ré-épithélialisation plutôt que sur la suppression de l’inflammation.
Meilleure migration cellulaire
Aucune augmentation de la migration cellulaire provoquée par le BCP n’avait jamais été reportée auparavant. Afin de déterminer si l’exposition au BCP peut stimuler la migration cellulaire, des analyses in vitro sur des scratch tests ainsi que des analyses chimiotactiques ont été effectuées. Des cultures de kératinocytes et de fibroblastes primaires de souris C57BL/6 exposées pendant 24 heures au BCP (dilué avec du DMSO) ont montré des réponses chimiotactiques supérieures par rapport aux souris de contrôle (nombre de fibroblastes 2,1 fois supérieur et nombre de kératinocytes 2,5 fois supérieur). Cependant, l’exposition au BCP n’a pas stimulé de réponse chimiotactique dans les fibroblastes isolés de souris knock-out en CB2 (nombre de cellules 1,2 fois supérieur). Ces résultats suggèrent que l’activation des CB2 pourrait conduire à une augmentation des réponses chimiotactiques.
Dans l’analyse chimiotactique ci-dessus, il est montré que les cellules présentent des réponses chimiotactiques vers le BCP. Des scratch tests ont ensuite été effectués afin de déterminer si l’exposition au BCP stimulait ces réponses chimiotactiques afin de repeupler les boîtes de Petri. Après avoir atteint la confluence, le milieu de culture a été remplacé par un milieu contenant du BCP (23μM/10 μL DMSO/10 mL de milieu de culture) ou du DMSO (10 μL/10mL de milieu de culture). L’exposition au BCP a augmenté la migration cellulaire dans la région du scratch test (39,2 % de réduction en largeur en 6 heures) par rapport au milieu de contrôle (6,7 % de réduction en largeur en 6 heures). Les cellules provenant des souris knock-out en CB2 exposées au BCP ont également montré un taux comparable de repopulation des zones vides (34,0 % de réduction en largeur en 6 heures). Ces résultats suggèrent que le BCP est capable de stimuler la migration cellulaire, mais non à travers la voie des CB2.
Cette étude a débuté avec l’hypothèse que le BCP aurait un impact positif sur le processus de cicatrisation en activant la signalisation au moyen des CB2. Alors que le BCP favorise effectivement la ré-épithélialisation, les résultats relatifs à la migration cellulaire montrent que les effets du BCP sur la ré-épithélialisation pourrait être plus complexes que par activation des CB2. L’analyse des effets des antagonistes et des agonistes des CB2 sur la ré-épithélialisation a donc été effectuée. De l’AM630, un antagoniste des CB2, a été injecté chaque jour 20 minutes avant l’application quotidienne de BCP ; le JWH133, agoniste des CB2, a été appliqué localement à la place du BCP afin d’établir s’il générait un impact similaire à celui du BCP. Les tissus du groupe traité au BCP et du groupe non traité, du groupe traité à l’AMP630+BCP et de celui traité au JWH133 ont été prélevés au jour post-opératoire 5. Les sections ont été marquées à l’anticorps K14 et la distance de migration à partir du bord de la plaie a été mesurée. Comme il avait été observé précédemment, les applications locales de BCP avaient favorisé la ré-épithélialisation. Le JWH133, agoniste des CB2, avait favorisé de façon significative la ré-épithélialisation par rapport au groupe de contrôle. Lorsque l’AM630, agoniste des CB2, a été injecté quotidiennement aux souris traitées au BCP, les résultats n’étaient pas clairs. La ré-épithélialisation n’était pas statistiquement différente de celle du groupe de contrôle, mais la variation était large et tendait à la différence (P = 0,071). Ces résultats suggèrent qu’il pourrait exister d’autres voies impliquées dans l’amélioration de la ré-épithélialisation des plaies par le BCP.